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Haiti à l’ère du Carnaval !

Par : Herve Gilbert herve.gilbert@gmail.com 

Le Carnaval ou « mardi-gras » demeure l'une des grandes manifestations socio-culturelles du peuple Haitien. Ces festivités se déroulent suivant le calendrier catholique du jour des rois, de l'Epiphanie jusqu'au mercredi des cendres. Tous les ans, le carnaval est fixé par rapport à la date de Pâques, qui elle-même varie en fonction du cycle de la lune. Il y a 40 jours de carême entre le mercredi des Cendres et le jour de Pâques.

 

Le carnaval, expression culturelle des judéo-chrétiens, l'une des coutumes de l'antiquité romaine, a été introduit en Haiti durant l'époque coloniale par les Espagnols et les Français au XVIe et XVII siècles . Les esclaves africains arrivés sur l’ìle avec leurs coutumes ont aussi apporté des transformations à cette fête, qui selon certains historiens, représentait un temps de répit où les grands planteurs et les colons appréciaient la dramaturge locale de leurs esclaves de talent. Il offrit à tous une occasion de se défouler; cependant le port des masques restait un privilège exclusif des colons et des affranchis tandis que les esclaves n'avaient pas droit d'y participer.

   Une reine au carnaval d'Haïti de 2006

Le mot « carnaval » nous vient du mot italien, « carnavale », Il s’est transformé d’une langue à l’autre, d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre. Nous pouvons donc dire qu’Haiti est entrée dans l’ère du carnaval pendant la colonisation espagnole. Après l'Indépendance, le carnaval devint une vraie réjouissance populaire déambulant dans les rues. Au fil du temps, la tradition carnavalesque s'est installée partout dans le pays avec ses ramifications locales.

 

En 1920, pendant l'occupation américaine, le carnaval fut récupéré par les affairistes qui l'affubla d'un caractère élitique, le gouvernement de Borno essaya de vider le carnaval de son contenu populaire, c'est ainsi que le major américain Smedley Butler mit la population en garde contre l'utilisation des termes jugés scandaleux.

 

Vers 1927, le gouvernement  de Borno, modéla le carnaval d'un style européen par l'intégration d'une reine au carnaval  et il  ordonna aux différents groupes de s'assembler en un seul cortège en excluant ceux considérés violents. Président Borno a vu son carnaval de 1928 boycotté par les groupes populaires et de la population, qui ont préféré se cantonner dans les milieux des temples et des églises pour célébrer symboliquement l'enterrement de Borno: l'une des réactions servant de leçons aux succésseurs de Borno. L'année suivante, le gouvernement de Borno implanta le premier roi du carnaval ainsi que les reines d'honneur du défilé carnavalesque et a dut faire une concession avec le retour du fameux groupe « ortophonique » « « G.B » « pour gwo Bouzen », originaire du Portail St. Joseph, formé dans les années 1920 par Irame Dormévil, groupe considéré jusque dans les époques (Nemours-Sicot) comme le vrai « roi du béton ».

                    Aux origines des Reines !

Durant les évènement de 1946, le secteur commercial boycotta le carnaval officiel et le gouvernement d'Estimé dut s'appuyer sur des bandes ambulantes. Il risposta avec succès par une approche populiste, et en 1949, la tradition reprit ses droits dans un carnaval de nuit animé de sons, chorégraphies, chars, défilés, couleurs et costumes, les uns plus affriolants que les autres. Pour ce qui fut le plus beau des carnavals, c’était aussi l’époque où les touristes affluaient, autant que diverses personnalités étrangères.

 

Progressivement, le carnaval évolua en tableau d'exposition des moeurs et des méfaits de l'élite que la population tournait en dérision dans les slogans ou refrains de rues; mettant en exergue parfois les personnages indésirables, parmi lesquels, fut le général Charles Oscar Etienne, qui constitue jusqu'à aujourd'hui une tête d'affiche dans le défilé carnavalesque.

Il est devenu le tristement célèbre « Chaloska »,suite à la répression sanglante infligée à la population de Port-au-Prince, quand il assassina plus d'une centaine de prisonniers politiques en 1915 peu avant la première occupation américaine.

Comme commandant de l'arrondissement de Jacmel il eut à subir les moqueries de la population qui le représentait avec des effigies grotesques colorées de charbon vêtues de redingote, avec des dents monstrueuses. Le peuple se rendit justice plus tard quand il exécuta l'ignoble général, ainsi que son chef, le président Vilbrun Guillaume Sam. C'est sous ce prétexte qu’ Haïti avait connu la première occupation militaire des Etats-Unis.

Les multiples déguisements, les couleurs vives, mariés aux sons des tambours, des bambous, "bokal", "feray", "boutey" et des tempos les plus divers: rara, kata, rasin, troubadou, Konpa etc; font d'Haiti dans la région caraibéenne, une exclusivité dans le carnaval.

Déguisement

Le déguisement dans les bandes à pied varie parfois. Les nantis se déguisaient autrefois en personnages suivants: prince, roi, marquis ou Lucifer; les moins privilégiés choisissaient les professions: avocat, médecin, magicien, noble, militaire grotesque; au bas de l'échelle, on retrouvait indiens, boeufs, indigènes, arboriculteurs, travestis ou en une célébrité de l'époque. Certains participants, fustigeant les autorités éclésiatiques, s'éparpillèrent dans les rues et s'habillèrent en moines, prêtres et évêques; certaines femmes se déguisaient en « précieuses ridicules », pour se moquer des autorités locales. D'autres femmes des banlieues déambulant les rues en prélude aux jours gras, offraient des surprises qu'on appelait "la mayote".

Comme toute fête au sens plein du terme, le carnaval est la négation du quotidien. Il instaure un temps pendant lequel il est possible de s'affranchir des règles et des contraintes journalières .Disons tout simplement que le carnaval est la manifestation sans retenue, toutes classes sociales confondues.

C'est l'époque de la désarticulation des hanches et des deux mains suspendues au-dessus de la tête, dans un mouvement qu'on appelle dans notre créole "Gouyad". Le carnaval est aussi le temps de la mascarade, il permet aussi d'outrepasser les règles morales et sociales.

La célébration du Carnaval en Haïti est traditionnellement soulignée par des défilés de bandes à pieds, de chars allégoriques, de Jazz ou groupes musicaux montés sur camions, des cortèges costumés ou déguisés et des bals masqués au dernier jour.

Certains déguisés  durant le carnaval sont revêtus de costumes coloniaux similaires à ceux que nos héros portaient au 19e siècle

Le défilé carnavalesque c'est aussi l'espace privilégié où l'art populaire explose : peinture, musique, chorégraphie, artisanat, travaux sur fer, sur toile, architecture prennent possession de la rue. Le savoir-faire est partout sur chaque affiche, chaque panneau, chaque robe ou costume. Sur les murs de ce musée vivant s'ouvre une variété de sons, une panoplie de rythmes et de couleurs où tous les dons se retrouvent.

 

La liesse populaire est inimaginable devant ces tableaux qui pourtant frappent l'imagination et la mémoire du fait de leur mélange de traditions et de modernité. La saison carnavalesque demeure le temps de la réjouissance et de l'insouciance, où toutes les questions d'importance sont écartées, ou tout simplement travesties, quand elles ne sont pas traitées. Les problèmes soulevés pendant la période de grandes bamboches seront hélas brûlés avec le Roi des Mardi Gras le mercredi des cendres.

 

Mais qui a dit qu'on pouvait corriger les mœurs en riant? En plein duvaliérisme, le carnaval représentait aussi l'époque adulée des panégyristes, les deux ténors de l'époque, Nemours et Sicot, ont renversé les anciennes traditions du carnaval dans des polémiques purement "showbis" que le gouvernement d'alors exploita grandement. Même de nos jours, il est toujours exploité à des fins politiques. Passons et restons y

Le carnaval, fête de la gaieté et de la joie, harmonie des couleurs, toute la gamme des teintes vives défilent sous les yeux. Ce monde chatoyant porte à croire qu'effectivement les nègres aiment les couleurs frappantes et étincelantes. Tout le monde vit dans la même euphorie. Les groupes sociaux se fusionnent dans le même enchantement. C'est la vraie communion qui crée une camaraderie passagère parce qu'on exécute ensemble les mêmes gestes et que l'on tend vers le même but : le plaisir.

 

Cependant, les parents y voient une source de perversion parce que les refrains sont souvent à cette occasion très crus et ronflants. A leur avis, la perversion est représentée par toute extériorisation de tendances sexuelles. Le carnaval corrompt parce qu'il libère. Cette conception est à la base de notre morale, de la morale chrétienne. Mais, si les parents étaient plus objectifs, ils découvriraient les côtés positifs de cette coutume si profondément ancrée dans les mœurs haïtiennes.

 

Les festivités pré-carnavalesques annoncent les grandes folies des trois jours gras. Cette tradition, plus vieille que l'histoire de la République, est maintenue en dépit de toutes les crises qui déchirent les dernières entrailles d'Haïti.Le carnaval est une de ces circonstances qui donnent la possibilité à l'Haïtien, surtout aux adolescents, d'oublier les censures sociales et d'exprimer sans fard les obsessions nées du respect ou de l'introjection trop rigide de certains tabous sociaux. La saison du carnaval est la période où l'hypocrisie s'estompe.

Au cours de cette période, la foule expose sans retenue sa grivoiserie, pieusement étouffée dans d'autres circonstances. Le carnaval est une période de plaisir et d'expressions débridées, une fête populaire, « non négociable » de la majorité du peuple haïtien. L’ambiance est pour l’haïtien une sorte de thérapie qui lui soulage des maux de la vie courante.Le carnaval rétablit chez l'individu l'équilibre psychique rompu par les constants stress subis tout au long de l'année.

 

Afin de diminuer le nombre de ces refoulements, les parents ont intérêt à changer d'attitude envers les enfants en cessant de considérer tout ce qui a rapport avec le sexe comme symbolique du péché. Il faudrait de préférence qu'ils informent les enfants de tous les aspects de cette sexualité qui est en réalité ni morale, ni immorale. C'est peut-être la meilleure manière de ne plus faire du sexe la principale obsession des jeunes.

Cependant, nous n'allons pas terminer sans ne pas faire ressortir le côté sombre du carnaval. Les organisations de défense des droits de la femme doivent lancer des campagnes de motivation aux jeunes durant cette période à la fois féerique et fébrile pour leur rappeler la nécessité de se protéger sexuellement durant ses 3 jours. Après le carnaval, on enregistre toujours un taux élevé de grossesse prématurée chez les jeunes. On pourrait même dire que c'est l'époque de la croissance de la population.

 

C'est aussi le moment où l'on enregistre des cas de viols. Autrefois, Il y avait une pratique à Port-au-Prince au moment des festivités carnavalesques dans les zones populaires ; des badauds se cachent dans les coins obscurs pour s'accaparer de jeunes filles qui rentrent tard toutes seules afin de les violer.

CULTURE-- SOCIETE--SOCIETY 

Nous condamnons ces « kadejak » parce que tout acte de pénétration sexuelle commis sur une personne par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Alors messieurs, protégeons nos femmes et fillettes durant les jours gras.

 

Le carnaval haïtien reste et demeure une tradition de créativité et d'imagination et un atout majeur pour le tourisme, lequel moyen pourrait générer d'importantes devises au pays. Mais ces conditions ne seront pas réunies tant que le pays n'offre pas un climat de salubrité plus décent à l'environnement, sans que les cas de « kidnapping » ne soient pas éradiqués de notre mentalité de peuple pourtant très hospitalier. Haïti est le seul pays dans les Caraïbes où l'on voit des montagnes d'ordures ménagères et de déchets de toutes sortes s'accumuler dans les rues. Souhaitons qu'Haïti connaisse une certaine stabilité au seuil de ce millénaire, pour que tout le monde puisse enfin participer comme des gens libres.....

 

Joyeux Carnaval à tous ! "Aprè dans tanbou lou"... . Après le bal, c'est la fatigue

 

Par :Herve Gilbert herve.gilbert@gmail.com

Contributeur : Carl Gilbert cggilb@gmail.com

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